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Jean-Claude Lafon

Artisan couvreur, Lachapelle Auzac
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Révolte

À l’âge de 16 ans, je me suis révolté. J’aurais pu mal tourné. Mais j’ai eu de la chance. J'ai rencontré les bonnes personnes au bon moment. » La voix est posée, mais au fil des mots, l’émotion affleure. Comme si l’énergie qui avait poussé l’adolescent écorché vif à dire « non » à son père militaire, il y a presque 40 ans, était toujours présente, sous une autre forme. Jean-Claude Lafon ne s’est pas engagé sous les drapeaux comme l’aurait souhaité son paternel. Mais il n’a pas perdu au change. Ses classes ont duré plus longtemps que dans une caserne, certes. Mais avec des instructeurs hors normes. « Des gens plus âgés que moi. Ils ont compris que j’étais rebelle. Ils ont su trouver les mots et les bonnes attitudes. Avec eux, j’ai compris beaucoup de choses. Ils m’ont remis sur le droit chemin. Ils m’ont permis de donner un sens à ma vie… C’est surtout cet Espagnol qui avait fui le franquisme qui m’a beaucoup influencé. Il avait commencé enfant dans une carrière d’ardoise. Puis il était devenu plombier. Et il avait encore engrangé bien des savoir-faire. Il voulait apprendre, et il a appris. Rencontrant d’autres immigrés. Ce sont eux à leur tour qui m’ont tout appris. Ils venaient d’ailleurs, ils avaient souffert, mais ils avaient l’amour du métier, l’amour du travail bien fait. Je leur dois tout. Vraiment. Alors, quand j’entends certaines choses aujourd’hui, j’enrage. C’est auprès d’eux que je me suis convaincu qu’un jour, j’y arriverais. » Ce n’était pas l’armée, mais c’était parfois, souvent même, aussi exigeant. « Je les trouvais durs. Ils avaient des valeurs. Et envers moi, comme une tendresse filiale. Car au fil du temps, ils ont su m’inculquer le respect de la matière, de la parole donnée. J’ai compris qu’on avait des droits et des devoirs. »

Jeune adulte, Jean-Claude Lafon reproduit les gestes et se nourrit de ces préceptes. « Ce que j’admirais, c’était ce sens de l’exigence. Grâce à eux, je sais que le travail parle pour nous… Parfois je m’inquiétais de ce que pensait le patron. Ils m’ont répondu : fais au mieux. Alors il s’intéressera à toi. Ce fut vrai. »

Jean-Claude gravit les échelons. Et à 32 ans, il s’installe « à son compte ». Il décide alors de rendre ce qu’il a reçu. De transmettre. « Quand je vois ces jeunes qui sont déjà cassés, mal orientés, parfois caractériels, je me dis que je dois leur tendre la main. »

Le savoir

« Le savoir, il ne nous appartient pas. C’est un bien qui se transmet, une richesse commune que l’on doit partager…

… Je suis un homme libre aujourd’hui, et quand je peux transmettre un peu de ce que j’ai appris, j’offre aussi un peu de cette liberté… Et je m’enrichis aussi, humainement. »

Les années ont passé. L’enfant de Gramat vit désormais sur les rives de la Dordogne. « C’était une évidence que de faire ma vie ici… Je suis un patriote du Lot ! » Et ça tombe bien. L’homme de l’art spécialisé dans la couverture peut ici profiter d’un patrimoine bâti exceptionnel. Quitte parfois à maugréer. « Quand on remplace de la lauze par de la tuile, oui, je suis un peu malheureux. Autant que possible, il faut respecter la tradition. Mais il y a aussi des contraintes économiques et il faut satisfaire le client. Je peux aussi bien rénover un élément ancien dans les règles de l’art que réaliser une stabulation ou un toit tout en zinc. C’est notre vocation aussi… »

Son père a fini par l’admettre. « Quand j’ai achevé ma première maison, à 22 ans, j’étais assez fier qu’il puisse la voir. Une sorte de revanche… Il a consenti à dire qu’il était surpris… C’était déjà beaucoup. »